Toutes les fois qu’on m’a livré un diagnostique, soit le premier où le cancer du sein a fait irruption dans ma vie, soit lors de mes récidives 3 et 5 ans plus tard, toutes fut choquantes, mais chaque fois différentes. La première fois a été une expérience abasourdissante, mon monde s’était écroulé, plus rien ne faisait sens, une tornade qui allait changer tous mes repères. La deuxième fois fut révoltante parce que je pensais pouvoir passé à autre chose et que j’étais en train de reconstruire ma vie, mais il fallait à nouveau recommencer. À la troisième annonce je me suis sentie bien sûre triste, ensuite fâchée et finalement, bizarrement sereine.
Triste parce qu’il fallait reprendre chimiothérapie, perdre à nouveau mes cheveux et mettre ma vie entre parenthèses. Fâchée parce qu’on (mes ex soignants) est passé à côté de quelque chose lors de mon contrôle annuel et que la maladie a eu le temps de se propager localement (heureusement pas aux organes!). Ce foutu cancer est tellement rusé et déterminé à vivre, à envahir mon corps et ma vie qu’il a su se cacher et surtout -nous l’avons appris plus tard- a su changer d’identité pour survivre. Beaucoup de gens ne le savent pas, mais il existe plusieurs sortes de cancer du sein, lors de mon premier diagnostique en 2010 il était Triple Négatif mais cette fois la biopsie a révélé qu’il s’est transformé en cancer HER2+. Ayant cette fois une nouvelle équipe médicale autour de moi avec des yeux neufs sur ce rebondissement inattendu un plan d’action a vite été mis en place: chimiothérapie pour attaquer les tumeurs visibles et immunothérapie pour garder la maladie sous contrôle. En effet, avec le Triple Négatif je ne pouvais avoir aucun traitement pour maîtriser la maladie puisque tous les récepteurs étaient négatifs, alors qu’avec ce changement de statut je pouvais bénéficier d’immunothérapie.
Sur le moment j’avais encore de la difficulté à digérer cette information, c’est quand même incroyable que mon cancer ait réussi à se transformer pour survivre. Les deux premières fois je l’avais bombardé avec chimiothérapies agressives, chirurgies, radiothérapies et tel le caméléon il a réussi à s’adapter à son environnement et faire ce qui était nécessaire pour continuer d’exister. Et bizarrement c’est là que je me suis rendu compte à quel point le cancer (d’ailleurs on devrait dire les cancers) est une science infiniment complexe et que j’ai commencé à avoir du respect pour ces cellules qui faisaient tout pour survivre et continuer à exister dans mon corps. En confiance totale avec mon équipe médicale, connaissant un peu mieux mon meilleur ennemi et bénéficiant de traitements à la pointe, toutes ces choses ont fait que cette troisième fois j’étais plus sereine et prête à accepter ma vie de patiente chronique.
C’est qu’en parallèle à cette maladie, entre cette 1ère et 2ème récidive, je m’étais moi aussi transformée: j’ai pris confiance en moi, en mes expériences de patiente, appris à connaître mes limites et à formuler mes besoins. J’ai réussi à m’affranchir de l’équipe médicale où je ne me sentais plus en confiance, et j’ai créé mon équipe de choc, ma « dream team » médicale avec les soignants qui étaient plus compatibles avec ma philosophie de patiente. Je voulais avoir mon mot à dire, qu’on m’écoute et qu’on collabore avec moi, j’avais mûri en tant que patiente et avec toutes les expériences subies, vécues, je n’étais plus la patiente à qui il fallait tout dicter. Il fallait que j’agisse, que je trouve un moyen de faire quelque chose de productif avec cette situation de santé qui était maintenant mon quotidien, et je voulais en faire quelque chose de constructif, pour que d’autres profitent de ce vécu afin de mieux comprendre leur propre parcours et je voulais échanger avec d’autres femmes qui vivaient les mêmes choses que moi…. Seinplement Romand(e)s est né.
Depuis ce troisième diagnostique 18 mois se sont écoulés. J’ai eu 5 cycles de chimiothérapie qui ont été tout à fait supportables, avec mes injections d’immunothérapie (Herceptin et Perjeta) toutes les 3 semaines, encore à ce jour. Depuis plus d’une année mes scans sont propres, la maladie semble être sous contrôle. Remarquez que je ne dis pas que je suis guérie ou en rémission, pour être tout à fait précise je suis NED comme on dit en anglais et dans le monde du cancer (je ne connais pas d’équivalent en français… dommage!) ce qui veut dire en gros « attendons de voir », mais en permanence. Il a donc fallu apprendre à vivre avec, ma vie se passe ici, aujourd’hui, maintenant parce que je n’ai littéralement pas de temps à perdre!
Aujourd’hui ce que je peux vous dire c’est que chaque diagnostic a été différent, chaque fois les traitements ont été différents, je n’ai pas eu les mêmes chimios, ou les mêmes effets secondaires, ou les mêmes états d’âme. Ma vision en noir et blanc du cancer a complètement changé, je comprends mieux les nuances de gris, que chaque fois c’est différent et que mon expérience est unique. Au mois de mai 2017 cela fera 7 ans que le cancer est devenu mon meilleur ennemi, écrire ces lignes me permet de voir le chemin parcouru, les transformations de vie accomplis, les leçons apprises et surtout de voir la chance que j’ai. Oui, entre deux orages vient le beau temps.