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Tous ces jours d’après.

Tous ces jours d’après.

Aujourd’hui est un jour particulier, je ne sais pas si j’ose dire que c’est un jour spécial, je suis déchirée entre l’envie de célébrer toutes mes victoires ou au contraire de pleurer tout ce que j’ai perdu. Un peu des deux sans doute.

Le 14 mai 2010 mon monde a basculé.

Ce jour-là, les mots « cancer du sein » ont fait une entrée fracassante dans mon univers, un tsunami qui modifiera à jamais mon vocabulaire, mon corps, ma vision de la vie, ma relation aux autres, ma vie de couple, mon rôle de maman, de sœur, de fille, d’amie.

Ce jour-là, une peur comme jamais je n’avais vécu la peur auparavant, une montagne infranchissable se dressait désormais devant moi; ma finitude était là: on me donnait 32% de chance d’être encore vivante 5 ans plus tard.

Ce jour-là, un trou noir dans lequel je tombais, un précipice sans fond; plus rien ne faisait sens, les heures étaient devenues des jours entiers tellement le temps semblait s’être arrêté et tellement j’étais sidérée.

Ce jour-là, j’ai dû douloureusement apprendre ce que veut réellement et profondément dire « agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire » (merci Alain Berset d’avoir rendu populaire ce que je vivais déjà dans ma chaire depuis longtemps). En effet, il fallait se dépêcher car le cancer gagnait du terrain, mais en même temps il fallait être patient pour attendre les résultats et connaître le plan d’action. Il fallait se rendre aux rendez-vous, beaucoup de rendez-vous, un tourbillon de rendez-vous. Chaque fois je ne comprenais pas ce qu’on me disait, je voyais bien qu’on me parlait, mais j’avais l’impression qu’on ne s’adressait pas à moi.

Ce jour-là j’avais 35 ans, deux jeunes enfants de 8 et 4 ans, une vie professionnelle devant moi, mais on insistait à me répéter ce putain de mot « cancer ». Cancer. CANCER. C-A-N-C-E-R. Mon cerveau ne pouvait juste pas percuter. Comment le pouvait-il? C’était trop, alors il me plongeait dans un autre monde pour me protéger: il y a beaucoup de choses de ces premières semaines dont je ne me souviens plus, mais ce putain de jour-là je ne pourrais jamais l’oublier.

Ce jour-là ma vie a commencé. Non, ma deuxième vie, celle où on se rend compte qu’on en a qu’une. Une fois la stupeur passée, les heures redevenues des heures chronologiques normales, la vie a trouvé une porte d’entrée, une toute petite porte d’entrée, il le fallait, les enfants avaient besoin de moi, leur réalité d’enfant bousculait ma réalité figée, mon mari avait besoin de moi, il fallait mettre la deuxième vitesse, débuter les interventions chirurgicales, les chimiothérapies, les radiothérapies, les reconstructions, les déconstructions, les traitements à vie. Il me fallait me soumettre à la douleur, la peur, aux effets secondaires, à l’inconnue mais surtout pas me laisser mourir, pas me laisser aller.

Ce jour-là se mettait en mouvement un autre élan, un autre parcours, de nouveaux codes, une nouvelle normalité, des apprentissages, des désapprentissages; il y avait un avant et un après.

Ce jour-là débutait des rencontres incroyables, des découvertes inouïes, de belles leçons, des magnifiques réalisations, de superbes explorations, de grandioses déceptions, des deuils écrasants, des renouveaux époustouflants.

Ce jour-là semblait impossible à dépasser, à surpasser, à franchir et pourtant. Je suis encore là,

plus belle,

plus forte,

plus sage,

plus calme,

plus riche,

plus sereine,

plus spontanée,

plus intelligente,

plus douce,

plus fragile,

plus tendre,

plus fière,

plus déterminée,

plus compétente,

plus confiante,

plus bienveillante,

plus apaisée,

plus attentionnée,

plus autonome,

plus vulnérable,

plus reconnaissante,

plus humble,

plus combative,

plus égoïste,

plus généreuse,

plus conciliante,

plus possessive,

plus rebelle,

plus pétillante,

plus créative,

plus protectrice,

plus râleuse,

plus curieuse,

plus romantique,

plus cynique,

plus pensive,

plus vive,

plus désillusionnée,

plus amoureuse,

plus fantasque,

plus triste,

plus heureuse,

plus gourmande,

plus ironique,

plus passionnée,

plus tolérante,

plus naturelle,

plus sincère,

plus nonchalante,

plus têtue,

plus originale,

plus paresseuse,

plus volontaire,

plus observatrice,

plus peureuse,

plus solidaire,

plus militante,

plus présente,

plus survoltée,

plus têtue,

plus vivante,

plus M-O-I.

Et cela m’a pris tous ces jours d’après pour y arriver, 10 ans pour me trouver, pour arriver jusqu’ici et maintenant. Les minutes, les heures, les jours, les mois, les années sont passées, la vie a repris le dessus et même si je ne l’oublierai jamais ce 14 mai 2010, il est derrière et je suis bien là, libre de savourer chaque instant, seule, avec mon mari, avec mes enfants, avec ma famille élargie, avec mes ami-e-s et dans mes endroits préférés. C’est tout ce que je veux de la vie, ça et qu’elle me laisse encore un peu repousser ma finitude.

Coucher soleil Juno garçons

(Coucher de soleil sur ma plage préférée en Normandie, avec mes hommes)

Chapitre 8: Les rayons

Prescription : 33 séances de rayons.

Soit 6 ½ semaines. 5 jours sur 7. 120 km de route quotidiens.

Alors, en théorie, c’est déjà presque une convalescence après le poison des chimiothérapies. Mais en réalité, c’est bien plus pernicieux : comment récupère-t-on quand on enchaîne les traitements, les rendez-vous, les trajets, etc. ?

Personnellement, je me sens aujourd’hui incapable de conduire seule pour me présenter à ma radiothérapie. Heureusement, je peux compter sur l’aide de bénévoles et de collègues et amies pour me dépanner. Encore me faut-il placer la prunelle de mes yeux chaque jour, parfois tous les jours à une autre personne. Ce n’est pas idéal, mais je n’ai pas vraiment le choix. Et puis, il parait que cela ne devrait pas me tourmenter… Que ce ne sont point le nombre d’heures totales passées à m’occuper de ma fille qui importe, mais bien la qualité de ce temps… Je crois que vous aurez compris, lecteur, que  ceci n’est pas mon point de vue, mais je n’en débattrai pas ici.

Voilà donc le descriptif d’une séance de rayons, pour les non-initiés surtout ;

On se présente aux techniciens de radio-oncologie, qui nous font passer dans une cabine étroite  à deux portes. On se dévêt jusqu’à la taille, et l’on attend que le technicien ouvre la porte arrière de la cabine pour nous emmener à la machine. On se promène donc toutes « topless » sur quelques mètres, et tout le monde trouve cela normal. Evidemment, prêter à toutes et à tous une blouse hospitalière qui, bien que très peu seyante mais ayant tout de même le bénéfice d’être quelque peu couvrante, est une illusion. Surtout que le trajet n’est pas long. Et que le traitement ne dure que quelques minutes. Et que les patients s’enchaînent de façon industrielle… Oui mais, honnêtement, ce ne serait franchement pas du luxe. Personnellement, je trouve difficile de m’exposer à autant de regards (les techniciens ne sont souvent pas les mêmes du jour au lendemain, ils sont en général 2 à 3, des deux sexes …) et de se faire palper-toucher-manipuler-asticoter tous les jours (souvent par 4 à 6 mains, alternant entre gelées, moites, parfois tempérées, sèches et au contact agréable quand c’est jour de fête !)

Note pour la direction médicale : serait-il impensable de fournir une blouse aux patients en traitement ? Pourquoi ne pourrait-t-on demander au personnel de se laver les mains à l’eau chaude avant de toucher les malades ? Peut-on envisager que le traitement radio-oncologique ne soit délivré que par un minimum d’intervenants différents ?

Si si,  je persiste et signe : je suis une râleuse, mais à tous ceux que cela fait sourire : allez vous allonger 7 minutes par jour sur une table très inconfortable, les bras tendus en arrière, triturée pendant plusieurs minutes pour vérifier votre positionnement sans que l’on échange avec vous un traitre mot, de devoir vous relever de cette maudite table, de dire au revoir, merci, à demain, et de repasser dénudée devant la moitié du service pour regagner la cabine-trappe magique, tout ceci en souriant et en remerciant encore !!!!

Je proteste ! Je demande que l’on respecte les patients, leur dignité et leur pudeur.

Merci Monsieur le Directeur, je vous laisse la parole …

Merci à Isabelle Coutaz pour le partage de ses récits ici.

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Chapitre 7: Quand c’est fini… ça recommence!

Voilà, 6 chimiothérapies plus tard… Suis toujours là, souriante mais épuisée. Mais cheveux ont décidé de repousser… un peu… Puis de retomber… Bande de lâcheurs.

A peine remise de la dernière chimiothérapie, que dis-je, pas remise du tout ! Mes jambes supportent tout juste mon poids, les injections ordonnant à ma moelle osseuse de produire de nouveaux globules blancs pour remplacer ceux détruits par la chimio me provoquent des douleurs articulaires pas toujours supportables, des nuits de quasi insomnie me laissent sur le carreau… que déjà, mon oncologue m’annonce que l’heure de la radiothérapie est arrivée ! Quoi ? Déjà ? Et oui, le temps est précieux désormais, et chaque semaine séparant la dernière chimiothérapie de la première séance de radiothérapie diminue les chances de guérison et augmente le risque de récidive d’autant. Bon, vu comme cela, alors… Attaquons ! Je me reposerai plus tard je suppose…

Merci à Isabelle Coutaz pour le partage de ses récits ici.

radiotherapie-effets-adverses

Chapitre 6: Être une femme malgré tout

Alors oui, tout nous est clairement expliqué : la perte capillaire, la fatigue, les problèmes gastro-intestinaux sur chimiothérapie. Mais tout le côté « non médical » d’une telle maladie n’est que survolé. On nous oriente vers des brochures de la Ligue contre le Cancer, des groupes de soutien pour les patients et aussi pour les proches.

Mais qui ose nous regarder droit dans les yeux et nous dire « vous avez 30 ans, un cancer,  vous êtes femme et vous le resterez, avec ou sans cheveux, avec ou sans votre sein, avec ou sans libido, etc ». ? Personne. C’est le grand vide intersidéral. Débrouillez-vous seule avec vos questions et vos angoisses.

Avez-vous déjà essayé de vous sentir belle alors que le miroir vous renvoie l’image d’une femme vieillie avant l’heure ? Que votre crâne luit sous la lumière du néon de votre salle de bains ? Avez-vous déjà essayé de vous sentir sexy habillée alors qu’il faut un pull à col roulé pour planquer le cathéter ? Avez-vous déjà essayé de vous sentir belle et sexy nue, alors que pas  1 cm de votre corps ne respire la jeunesse, la fraîcheur, la sensualité ?

J’ai testé pour vous, et c’est quasi impossible ! Il y a bien quelques artifices : la perruque, du maquillage, des habits amples ou ajustés au bon endroit. Mais lorsque le vient le soir,  que vous ôtez toute cette supercherie, il  ne reste que la vérité, toute nue. Et ça fait mal.

Moi, j’ai opté pour l’optimisme et le sourire à toute épreuve. Mes dents, elles, sont restées, contrairement aux cheveux !!! Et lorsque je sors, que je vais à la salle de sports, ou au restaurant, je ne porte pas ma perruque. Je n’en ai plus envie. Je suis ce que je suis, et à tous ceux qui se retournent sur mon passage… C’est surement de voir une femme pleine d’assurance et au beau sourire,  pas la femme chauve et malade !! Je refuse d’être étiquetée « cancéreuse, malade, fatiguée ».

Merci à Isabelle Coutaz pour le partage de ses récits ici.

je-suis-ce-que-je-suis

Chapitre 5: Alors ces cheveux, comment on les prend?

Attaquons un chapitre sensible : la perte capillaire.

Avant même de débuter la première chimiothérapie, je le savais. Si mes cheveux ne tombaient pas avec les 3 premières cures, avec les 3 suivantes, ce serait chose faite.

Je suis donc allée choisir ma perruque, en me disant que j’allais tâcher de vivre cette perte au mieux, et avec un peu d’humour, d’envisager cette perruque comme un accessoire de mode !

Ainsi donc, 1 semaine environ après ma première chimiothérapie, et avec un peu d’avance sur le planning (là encore, je ne respectais pas les délais habituels !), ma première poignée de cheveux s’en est allée. Et ce fut un moment tragique, inoubliable. Auquel je pensais être préparée, mais ce fut finalement trop intense. Le contexte aussi a beaucoup joué : ma fille m’a attrapé la nuque, m’a attirée à elle pour un gros câlin, et est repartie avec une poignée de boucles noires !!!

Et là, pour la 2ème fois depuis le diagnostic, j’ai  pleuré. Parce que subitement, mon sourire et mon moral d’acier ne suffisait plus. Je perdais encore une partie de moi, une partie de ma féminité : après un quasi gouffre dans mon sein droit, mon incapacité désormais à donner la vie, voilà que mes derniers atouts de femme se faisaient la malle. Et ma perruque n’était pas encore prête !! Panique, allais-je devoir vivre avec un crâne dégarni, sans possibilité de  le masquer par la jolie perruque à longs cheveux  bruns et lisses que j’avais choisie ?

Finalement, après avoir  expliqué mon désarroi à la perruquière, je suis allée me faire tondre la tête et poser ladite perruque 4 jours après le début de la fuite capillaire. Je pensais que ce serait une épreuve terrible, que j’allais évidemment pleurer à chaudes larmes en voyant mes boucles tomber. Mais non ! j’ai trouvé très agréable la sensation de ce crâne nu, je me suis même trouvée jolie avec cette nouvelle tête. Et cerise sur le gâteau : le shampoing après la tonte fut une véritable découverte sensorielle, que dis-je, sensuelle !!! la douce chaleur de l’eau sur mon crâne désormais nu a été quasi orgasmique ! Ben quoi, un petit su-sucre après tant de stress, c’est mérité non ?!

Puis, j’ai regagné mon domicile, coiffée, épiant le moindre passant et son éventuel regard en coin sur ma nouvelle garnison. Ce ne fut pas le cas. Et ceci dit, les perruques sont de nos jours très bien conçues, discrètes et très « naturelles ».

De retour à la maison, il me fallait encore affronter une autre épreuve : celui d’ôter mes faux cheveux devant mon mari et ma fille. Le premier a presque été choqué de non-effroi : « finalement, c’est pas si terrible que ça… ». Quant à notre puce, 2 ans, sa réaction fut moins diplomatique : « non maman, mets tes cheveux !! ». Après quelques minutes d’observation et d’explications, elle a compris que je ne garderai pas la perruque en permanence, et que bientôt, mes cheveux repousseraient.

Merci à Isabelle Coutaz pour le partage de ses récits ici.

perruque

Chapitre 4: Ça y est, le poison coule…

Voilà, nous y sommes. Première chimio. Appréhension de l’inconnu, d’avoir mal surtout. Mais finalement, rien de bien méchant : chute de tension, malaise, migraines à s’arracher les yeux de la tête lorsque passe la 3ème poche de médicament, puis retour à la maison… Et parce que c’était la première, je dois avouer que l’on ne s’était pas très bien préparé à affronter la suite ; fatigue intense, nausées et vomissements malgré plusieurs médicaments censés y remédier, m’obligeant à écourter  le rituel du coucher de notre fille pour rejoindre au plus vite la cuvette WC ! Vomir quasi non-stop toute la nuit, ne pas tolérer la moindre odeur, que ce soit la cuisine, le réfrigérateur ou même ma propre urine, et ce 4 jours durant ! Non vraiment, une sinécure !

Mais ça y est, c’est fait. La machine à guérir est en route, et rien – ou presque – ne ralentira sa progression.

Merci à Isabelle Coutaz pour le partage de ses récits ici.

pink-poison

Chapitre 3: une parenthèse de quiétude.

Quelques jours avant l’annonce du diagnostic définitif et du début de machinerie de guerre que sont les chimiothérapies, nous avons décidé d’échapper momentanément à l’angoisse et au stress de ces événements par une petite semaine de vacances familiales, telle qu’elle était prévue avant ce grand chambardement. Parce que nous étions tous dans l’impossibilité de prévoir le futur, des vacances, mon état général après 6 chimio…

Une semaine de nature, 7 jours sans rendez-vous médical, 7 nuits sans somnifère, 21 repas pris avec appétit… Une véritable parenthèse de sérénité, entourée par ma famille et quelques amis, dans un écrin de verdure. Quel bonheur ! Pouvoir juste profiter du moment présent, sans agenda astreignant ni contrainte autre que notre estomac criant famine. Sans penser à ce qui m’attendrait – NOUS – attendrait – à notre retour à la maison, à notre retour  à la réalité aussi.

Pouvoir déambuler sans craindre les regards, parce que non, un cancer ne se voit de l’extérieur que lorsque vous êtes chauves. Pouvoir se mettre en maillot de bain et profiter de moments inoubliables pour notre fille et nous, sans remonter sans cesser une bretelle ou un col pour mieux couvrir mon cathéter saillant au-dessous de ma clavicule gauche. Pouvoir rire et sourire sans que l’on pense que je fais un déni de ma maladie, une dépression, et que ceci n’est qu’un mirage.

J’ose le dire : certes, j’ai un cancer, 3 poils sur le caillou et les capacités physiques d’une nonagénaire, mais oui, je ris et souris ! Quel difficile challenge que de mettre encore sous tension ses zygomatiques alors que tout – et tous – voudrait me voir flancher, faiblir, pleurer et abandonner.

Merci à Isabelle Coutaz pour le partage de ses récits ici.

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Chapitre 2: Sympa la balafre!

Tout s’est rapidement enchaîné ensuite : bilan radiographique complet, marquage de la tumeur et du ganglion sentinelle, consultation avec l’anesthésiste, et voilà que j’avance déjà vers l’entrée de l’hôpital, un matin de cette fin d’été, un peu stressée tout de même. Pas vraiment par l’intervention ni par l’attente du diagnostic final, non, stressée d’être endormie… Devoir lâcher prise, accepter la passivité et devoir attendre la fin de ce sommeil non désiré  pour pouvoir enfin contempler l’ampleur du sinistre : la taille des incisions, l’espoir d’une « jolie » cicatrice et que son emplacement puisse être camouflé.

Je me dois d’être honnête : j’avais clairement dit au chirurgien que j’étais préparée pour la double mastectomie si elle devait s’avérer nécessaire, mais je que je ne voulais pas que l’on me réveille pour me dire que finalement, on allait repasser au bloc pour tout enlever. Si un geste d’envergure pouvait m’assurer qu’il n’y aurait pas de récidive de l’autre côté, j’étais prête à voir mon torse plat et mutilé. Finalement, cela n’a pas été nécessaire, et au vu du reflet déjà bien amoché que me renvoie mon doux miroir, j’en suis fort aise.

1 % : c’est tout moi !

Les biopsies n’avaient pas montré de cellule atteinte au niveau de mes ganglions axillaires. Durant la tumorectomie, le chirurgien a tout de même prélevé le ganglion sentinelle, et deux autres. Ils ont été examinés alors que j’étais encore endormie au bloc, puis envoyés plus tard pour une analyse plus détaillée en laboratoire. Après 15 jours, je reçois le résultat final : micrométastase. Pas de quoi m’affoler, ceci ne change en rien le protocole de chimiothérapie, ni même n’envisage un geste chirurgical complémentaire. Tout au plus, cela pourrait changer mon « pronostic », mais ce ne fut pas le cas.

Au final, tout ceci me ressemble beaucoup : quand on croit m’avoir fait entrer dans une « case », avec un schéma classique diagnostic-traitement-pronostic, je joue encore la rebelle ! Le taux « d’erreur diagnostique » sur  un prélèvement ganglionnaire est d’environ 1%… c’est tout moi !! Je suis une exception qui confirme les non-règles !

Et cela me convient tout à fait : je ne suis pas une statistique, un chiffre, un  protocole. Je suis une femme, qui refuse d’être traitée comme un vulgaire dossier médical, un numéro.

 

Merci à Isabelle Coutaz pour le partage de ses récits ici.

100-moi

Le diagnostic II

Ma deuxième expérience s’est produit 3 ans plus tard, c’est à dire en juin 2013. Les choses allaient bien, je finissais ma formation de spécialiste en médias sociaux et communautés en ligne, nous préparions un voyage qui allait durer 1 mois au Québec, mon pays natal. À nouveau, un sentiment que quelque chose ne tournait pas rond m’envahit. Pour ma formation, j’ai fait un travail de diplôme conséquent, cela faisait plusieurs mois que je travaillais de longues heures pour accomplir cette formation, alors je me rassurais en me disant que ce sentiment était certainement dû au vide que je ressentais d’avoir fini, que ma tête avait trop le temps de penser. Après une double mastectomie subit l’année de mon diagnostic, les sensations étaient différentes, alors il était difficile pour moi de ressentir si ce que je palpais était une boule ou bien du tissu cicatriciel. J’ai pris rendez-vous chez ma généraliste, même constatation, certainement que c’était du tissu cicatriciel, mais pour en avoir le cœur net et au vu de mes antécédents, il ne fallait pas prendre de risque.

Rendez-vous quelques jours plus tard de nouveau au même hôpital avec le même médecin radiologue, par contre, cette fois je ne suis pas seule, une de mes meilleures amies m’accompagne. Rien que le fait d’être à nouveau dans ce service, de voir « mammographie » écrit sur le mur, et d’être dans la même pièce que 3 ans auparavant et j’ai la nausée. J’ai eu l’énorme « chance » de tomber le premier jour où les nouveaux et jeunes médecins commençaient. Il entre dans la pièce, se présente nerveusement, je souris peu car je suis angoissée, je le laisse commencer l’ultrason. Il cherche, il ausculte, voit quelque chose, et cherche à nouveau. Je lui demande ce qu’il cherche et il me réponds tout bêtement: « c’est particulier, je ne trouve pas de tissu mammaire, mais il semble y avoir un nodule ». Je n’en reviens pas, je suis prête à exploser et à tout retourner ce qui se trouve dans cette salle. Je le fusil du regard et lui demande « avez-vous regardé mon dossier? » Il semble confus. Je poursuis: « Non, apparemment pas parce que si vous l’aviez lu, vous ne seriez pas en train de me dire ce que vous venez de dire! Bien sûr que non que vous n’allez pas trouver de tissu mammaire parce que j’ai eu une double mastectomie il y a  3 ans!! Maintenant, j’aimerais que vous alliez chercher mon amie qui m’attends en salle d’attente et votre responsable qui me connaît et qui connait mon dossier LUI »! Ce pauvre nouveau médecin, je sais bien qu’il devait apprendre, mais là ce n’était juste pas le moment, j’ai haussé le ton et fait comprendre que mes propos étaient non négociables. Il est parti très rapidement pour aller chercher le médecin responsable. En attendant que celui-ci vienne, mon amie est venue, j’éclate en sanglots, j’ai la nausée, je lui dit que le « petit jeune » a vu un nodule, je prends conscience que le tsunami arrive à nouveau et je pars au toilettes pour vomir. Le médecin entre, me voit dans cet état, regarde les images et me dit qu’il faut faire une biopsie. Je me retiens de toutes mes forces pour ne pas pleurer devant lui, pour ne pas craquer, ma rage prends le dessus, je me mets en mode guerrière et accepte qu’il me fasse cette biopsie immédiatement. Il est hors de question que je passe à nouveau des heures interminables à devenir folle. L’état d’urgence et de rage dans lequel mon corps se mets prends le dessus sur ma peur bleue de la biopsie, mais pour tenir le coup, il faut que mon amie reste avec moi. Le médecin n’est pas d’accord, c’est un acte chirurgicale, je m’en fiche, je lui dit qu’il n’y a pas de compromis, il n’a qu’à lui donner un masque et elle reste en dehors du champ stérile. Mon expérience de patiente  m’a appris à verbaliser mes besoins et m’opposer à ce avec lequel je ne suis pas d’accord. Devant ma ténacité le médecin accepte, mon amie reste avec moi, elle me prend la main et me la sert fort pour que je puisse m’appuyer sur elle dans ma douleur. Je ferme les yeux, mes larmes coulent silencieusement… et « clack! » le bruit du prélèvement.

Après c’est tourbillon de rendez-vous avec ma généraliste, mon oncologue, le plan de traitement est mis en place et nos vacances au Québec annulées parce qu’il fallait tout de suite commencer la chimiothérapie. Cette fois, comme j’avais fait enlever mon porte-à-cath lors de ma reconstruction, je recevrais de la chimio par voie orale, une fois par semaine, et ce pendant 15 fois, puis, un mois de repos et pour enchaîner avec 28 séances de radiothérapie jusqu’à la fin de l’année 2013.

J’avais demandé à ma physio durant la première année de mes traitements si elle pensait que c’était plus terrible de recevoir l’annonce d’un diagnostique de cancer la première fois parce qu’on n’a aucune idée de ce qui nous attends, ou si c’était pire la deuxième fois parce que justement on sait ce qui nous attend. Elle m’a répondu (ce que ses patients lui témoignaient) que c’était difficile à chaque fois et ce pour différentes raisons. Je ne peux que confirmer comme vous le verrez dans mon prochain billet le diagnostique III.

tristesse

 

Chapitre 1: Un planning de ministre

C’est avec un grand plaisir et un honneur qu’Isabelle Coutaz m’a proposé de partager son récit sur Seinplement Romand(e)s qui sera partagé en plusieurs articles. Lorsqu’on tombe malade il est important de pouvoir mieux comprendre ce qui nous arrive et surtout, de savoir qu’on est pas seul(e), c’est donc grâce aux femmes qui partagent publiquement leur vécu qui est intime, difficile et long que nous pouvons apprendre et échanger, ce qui fait la force d’une communauté. Je tiens à remercier Isabelle du fond du cœur pour le cadeau qu’elle nous fait.

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Jeune maman d’une adorable petite fille de 2 ans, et bien que n’exerçant une activité professionnelle à taux réduit, je me suis souvent dit que les mamans avaient un agenda de ministre, et qu’elles mériteraient un salaire pour jongler entre la popotte, s’occuper des mioches, rendre le foyer habitable à défaut de nickel chrome et se rendre aux innombrables rendez-vous – bref, on aurait presque besoin d’une secrétaire-assistante-boniche !

Depuis l’annonce de mon cancer, j’aurais pu dédoubler les journées de mon agenda !!! Car, avant même d’avoir rencontré le chirurgien, il faut d’abord arpenter les corridors et salles d’attente d’un nombre incalculable de médecins et techniciens de toutes les spécialités !! Et à chaque fois, malgré un dossier médical apparemment fourni des toutes les pièces nécessaires, répéter inlassablement le comment de la découverte, l’arbre généalogique sur 7 générations environ, se dénuder encore, se faire triturer comme une vulgaire pâte à pizza et arborer  la plus seyante des tenues : la chemise d’hôpital, ouverte à l’arrière, évidemment, au cas où toute votre anatomie  n’avait pas été examinée sous toutes les coutures jusque là !

Malgré tout, j’en souris ! Pas d’amertume, tout ceci fait partie intégrante de la routine des cancéreux. Et j’ai toujours ressenti beaucoup de sympathie de la part du personnel soignant et des techniciens. Parfois même, j’ai cru apercevoir une commissure des lèvres remonter, signant que mon âge interpelle  quelques fois, et rappelle à ces jeunes femmes que l’épée de Damoclès et sur la tête de nous toutes, et pas uniquement passé la cinquantaine, rappelle également à ces jeunes hommes que je pourrais être leur sœur, leur cousine, leur amoureuse.

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